Cette entrevue a été originellement publiée sur Le Pressoir

Lola Ryan est l’une des plus éminentes praticiennes de la danse et de l’improvisation du mouvement au Canada. Étant une ancienne championne athlétique, elle a commencé une carrière en danse dans sa vingtaine, puis elle a fondé et cofondé des compagnies de danse et de théâtre en plus de faire des tournées à l’échelle nationale. Son engagement envers les enfants et les adultes est un intérêt incessant; c’est pourquoi le travail qu’elle a créé encourage les liens entre le jeu et la danse. Dans cette entrevue, Lola Ryan parle du corps en mouvement et de la création de nouvelles œuvres axées sur l’identité et l’expérience vécue.  

Vos programmes actuels avec MASC comprennent des ateliers intitulés « Le corps élastique », « La tranquillité du corps », « L’expression sociale du corps », et « Le corps enjoué ». Combien de versions du corps existe-t-il selon vous, et pourquoi est-il important pour nous de les découvrir?  

Lola Ryan : J’ai choisi ces corps parmi une multitude d’options principalement parce qu’ils se prêtent à un travail dans un contexte éducatif. Nous pouvons penser à notre corps d’une manière purement physique comme étant un ensemble complexe de muscles, d’ossature, de sang et de nerfs, ce qui est souvent le plus direct et le plus accessible. Cependant, il est également possible de le considérer en matière de culture, d’environnement naturel et manufacturé, ou encore comme un véhicule pour la performance. En poussant cette idée encore plus loin, nous pourrions aussi considérer le corps pensant, le corps philosophique et j’en passe. Il existe une infinité d’optiques que nous pourrions utiliser; de l’élémentaire au détaillé en passant par l’ésotérisme. Plus nous en savons sur nous-mêmes, mieux nous pouvons fonctionner dans notre vie quotidienne. Néanmoins, je n’ai retenu que quelques options qui peuvent être explorées dans un laps de temps plus court. 

Vous travaillez actuellement sur une performance intitulée Skin Songs avec une autre artiste MASC, Eleanor Crowder. Cette performance combine la poésie, les chansons, les contes, les enregistrements audio, la musique et le mouvement pour créer une exploration théâtrale de la féminité. Quelle a été l’impulsion de ce projet, et comment les plans pour la première du spectacle ont-ils évolué depuis le début de la pandémie?  

Un portrait de l’artiste Lola Ryan. Photo gracieuseté de MASC.

Un portrait de l’artiste Lola Ryan. Photo gracieuseté de MASC.

Lola Ryan : Skin Songs est né d’un ensemble de poèmes que j’ai composés afin de donner un sens à ma transition de genre et aux changements que je vivais à plusieurs niveaux. J’ai partagé ces poèmes avec Eleanor, et en échange elle a partagé ses écrits avec moi. Cela a déclenché une conversation intense entre nous sur la nature du féminin et les défis que représente le fait de vivre en relation avec la culture dominante tout en restant fidèle à notre authenticité. Cela a marqué la naissance de notre collaboration. Nous avons réalisé qu’il s’agissait d’un sujet rarement abordé de front, de la manière dont nous en discutions. Depuis, notre travail a connu un certain nombre d’itérations et quelques changements de personnel, puis nous avons été confrontées au défi supplémentaire d’une version pandémique.  À ce stade-ci, la pièce sera un mélange de textes et de performances en direct et préenregistrés, idéalement dans un cadre extérieur où les contraintes de la pandémie seront réduites.  

À MASC, nous invitons nos artistes à célébrer et à partager leur héritage culturel et leur identité dans leurs ateliers et leurs spectacles. En tant que membre de la communauté 2SLGBTQI+, pensez-vous que votre identité se reflète dans votre travail d’éducatrice artistique? 

Lola Ryan : Même si je suis désormais une femme transgenre dans ma vie et mon travail, je dois dire que l’enseignement que j’offre en tant qu’éducatrice artistique n’a pas substantiellement changé. Nous avons tous un corps et une relation avec celui lui, quelle que soit notre identité sur le spectre du genre. Même si mon corps et mon esprit ont subi des changements majeurs, le travail que je fais n’est pas différent. Cela dit, je suis plus consciente des distinctions sociales liées au sexe et à l’âge et je m’efforce de répondre aux préoccupations individuelles de chaque personne avec laquelle j’interagis. 

En tant que membre de MASC, que gagnez-vous à offrir vos ateliers dans les écoles et dans la communauté?  

Lola Ryan : Je suis membre de MASC depuis près de vingt ans, et je suis toujours ravie des réactions de mes élèves de tous âges. J’ai vu des enfants rayonner de joie devant leurs réalisations en classe, faisant des choses qu’ils n’imaginaient pas être possibles, par exemple de rouler et se tenir en équilibre sur un ballon, créer des combinaisons de mouvements et apprendre de leurs camarades, et pas seulement de moi; voilà une joie absolue. Idem avec les aînés, leur conscience éveillée de leur corps et leur étonnement tranquille devant ce qu’ils sont encore capables de faire me remplissent d’une satisfaction intense. Je vois mon rôle comme étant un catalyseur pour la croissance de celles et ceux avec qui je travaille, et j’en suis entièrement satisfaite. 

Pourquoi pensez-vous qu’il est important pour notre communauté locale d’avoir accès à des artistes professionnels? 

Lola Ryan : Les artistes ouvrent des possibilités sociales, physiques, imaginatives et créatives. Nous offrons aux écoles et aux communautés de nouvelles fenêtres sur elles-mêmes et sur le monde dans lequel nous vivons. Une communauté riche en expression créative, voilà ce dont je rêve. Les artistes sont un facteur essentiel dans l’atteinte de ce rêve.