Cette entrevue a été originellement publiée sur Le Pressoir

Auteur-compositeur-interprète, poète, écrivain, comédien, chroniqueur à la radio : Mehdi Cayenne est un esprit libre de la francophonie, un artiste-caméléon à l’esprit vif qui écrit des textes par-dessus, dessous et en dehors des sentiers battus. Charismatique, énergique et avant-gardiste, il offre des ateliers d’écriture avec MASC depuis plus de 10 ans. Dans cette entrevue, Mehdi parle de vivre et de travailler à l’intérieur et en dehors de nombreuses boîtes au sein des arts et des diverses communautés culturelles.

Jessica : En tant qu’artiste, vous touchez à de nombreux domaines : la création de poésie slam, le théâtre, la musique, la télévision et la radio, et ce, dans plus d’une langue! Selon vous, quels sont les avantages et les inconvénients d’être un caméléon dans le milieu artistique, plutôt que de s’en tenir à une seule forme d’art?

Mehdi Cayenne : Eh bien, toutes ces choses ressortent de mes tentatives de définir ce que je fais — plutôt que de vouloir acquérir toutes ces étiquettes et ces lauriers — donc ma contribution à tous ces médiums est finalement assez modeste. Je pense que toutes ces branches proviennent d’un même arbre, et ont évolué d’un intérêt vorace que j’ai pour l’art, et par nécessité aussi. D’une part, je suis fasciné par la similitude du langage dans ces différentes pratiques, et d’autre part le téléphone sonne et je dis oui si je sens que je peux apporter quelque chose au projet proposé, et grandir.

Bien sûr, toutes ces « excroissances » n’ont pas la même taille; on se concentre sur celle-ci ou celle-là à la fois par caprice et par circonstance. J’essaie d’être discipliné et d’arroser le jardin également, pour ainsi dire. En outre, la croissance dans l’un conduit inévitablement à une croissance dans l’autre aussi; je fais de mon mieux pour développer constamment une sorte de sensibilité artistique, qui tend à produire des changements considérables dans ma perception globale de mon paysage artistique.

Je pense que cet éclectisme fait en sorte qu’il est plus difficile pour moi de m’identifier à une véritable « boîte » — une chose qui semble avoir sa valeur en marketing — mais franchement, puisque je relie directement la multiplicité et les paradoxes de ma pratique artistique à ceux de mon identité, je ne m’en fais pas trop : vous devez d’abord amener qui vous êtes vraiment à ce jeu, et tout cela représente ce que je suis vraiment.

Jessica : Comment la pandémie de Covid-19 a-t-elle changé la façon dont vous créez et partagez votre travail? Quelles nouvelles choses avez-vous apprises sur les différentes manières dont nous vivons le spectacle vivant?

Mehdi Cayenne : Au début de la pandémie, j’ai commencé à faire des performances virtuelles en direct furieusement, une façon de faire qui apporte son lot de défis, à la fois inspirants et fastidieux! Au fil du temps et en marge de cela, j’ai développé mes compétences en tant que vidéaste, ce qui me permet d’expérimenter parfois avec une approche plus sophistiquée, en essayant de capter une performance dans un langage plus cinématographique et en profitant de l’impression d’être plus proche physiquement qu’on ne pourrait l’être sur une scène.

Sinon, outre ces désirs cinématographiques, jouer pour une caméra devant un public invisible ou encore dans un stationnement rempli de voitures qui klaxonnent, ce n’est pas le contexte idéal pour personne pour pouvoir se nourrir de l’énergie d’une foule; mais l’imperfection, la maladresse, ouvre quand même une porte où des moments spéciaux peuvent encore être vécus, quoique paradoxalement. On fait ce qu’on peut avec les circonstances qui sont les nôtres… !

Jessica : Le 25 septembre, nous avons célébré le Jour des Franco-Ontariens et des Franco-Ontariennes. Que signifie cette célébration culturelle pour vous en tant qu’artiste?

Mehdi Cayenne : J’ai de l’amour, de l’appréciation et la chaleur de nombreux souvenirs de la culture franco-ontarienne; quand je pense aux Franco-Ontariens, je pense à des gens, à des lieux, à de l’art et de la culture. Mon sentiment d’appartenance au sein des multiples cultures dont je suis tributaire a toujours évolué dans la conversation entre ces différentes identités. Par conséquent, bien que je ne puisse pas vraiment dire « Hey, ça me représente totalement! » en ce qui concerne les cultures franco-ontarienne, québécoise, acadienne, française ou algérienne, j’ai beaucoup d’affection et de reconnaissance envers chaque branche de cet arbre. 

IMG_7819 Patro Chanson avec Mehdi 2.jpg

Jessica : Vous avez étudié le théâtre à l’école secondaire De La Salle, à Ottawa. Que ressentez-vous lorsque vous retournez dans votre école pour partager votre musique?

Mehdi Cayenne : C’est fantastique! En fait, je suis retourné dans quelques écoles dans lesquelles j’ai étudié, une expérience qui est toujours merveilleuse. De façon plus générale, j’éprouve une profonde fébrilité et une immense gratitude envers le fait d’être invité à enrichir la vie des élèves, même si en vérité c’est tout autant eux qui enrichissent la mienne. C’est un grand privilège d’interagir avec les jeunes, tant pour leur honnêteté, que leur ouverture d’esprit et leur courage. Je pense que les ateliers et les spectacles scolaires offrent une fenêtre très spéciale pour rejoindre quelqu’un d’une manière mémorable, qui dégage, pour moi, une douce beauté, car elle est loin du décorum du « showbiz » habituel, vous voyez ce que je veux dire? Vous êtes dans un gymnase, une bibliothèque ou une salle de classe, et vous êtes mesuré par ce que vous êtes vraiment prêt à donner à ce moment, à ces élèves en particulier. C’est un honneur et une réelle joie.

Jessica : En tant que membre de MASC, que gagnez-vous en offrant vos ateliers dans les écoles et au sein de la communauté? 

Mehdi Cayenne : Je rencontre des gens de tous les âges et de tous les horizons, dans toutes sortes de contextes inhabituels : une série d’ateliers de poésie au Bureau des services à la jeunesse avec des jeunes à risque, un spectacle pour personnes âgées dans une résidence de Hull à la veille de Noël, des enfants de quatre ans hurlant de joie à pleins poumons, la composition de chansons dans un programme parascolaire avec des jeunes du monde entier… J’appartiens à une longue chaîne de troubadours, de griots et de bourlingueurs; ce genre d’histoires, au-delà d’être celles avec lesquelles on gagne sa vie, sont celles qui font une vie, tout simplement.

Jessica : Pourquoi pensez-vous qu’il est important pour notre communauté locale d’avoir accès à des artistes professionnels?

Mehdi Cayenne : Je pense que la conscience de soi et d’autrui, l’expression de soi, l’épanouissement sont essentiels au développement de chacun; pointer vers cette fenêtre, comme le fait un artiste en passant dans une classe, soutient le travail accompli par toute la communauté pour faire sortir le meilleur de nos jeunes — notre avenir — et cela ne peut qu’apporter du bien au monde. Écouter, être sensible au monde intérieur et extérieur, fait non seulement de meilleurs artistes, mais aussi de meilleures personnes.